Militants et délégués syndicaux sont souvent l’objet d’un principe de défaveur dans les entreprises où ils travaillent. Le Conseil économique social et environnemental (Cese) vient de publier un avis assorti de vingt-trois recommandations pour repérer, prévenir et lutter contre les discriminations syndicales.
Au printemps 2016, le délégué syndical FO de la Sepur, une société spécialisée dans la collecte et le traitement de déchets ménagers est licencié pour faute grave. S’agissant d’un salarié protégé, l’employeur a du préalablement demander une autorisation à l’inspection du travail basé à la Direccte d’Île-de-France. Durant son mandat, il a eu recours à la Direccte à de nombreuses reprises, tant les attaques contre le droit du travail étaient fréquentes, et aussi pour se maintenir dans l’entreprise puisqu’il a subi plusieurs tentatives de licenciements, raconte Dominique Ruffié, le secrétaire général de l’union départementale FO des Yvelines.
Les conclusions de l’enquête menée par l’inspection du travail ont jugé infondé le motif de faute grave. Et la Direccte a refusé le renvoi de ce salarié tout en indiquant, qu’en cas de non réintégration du salarié, la direction de la Sepur commettrait un délit d’entrave à l’exercice du droit syndical.
Une décision rare, si on se réfère au taux national d’avalisation par l’inspection du travail des licenciements de salariés protégés. Entre 2010 et 2014, l’administration a accepté plus des trois-quarts des demandes de licenciements (76,9%) et la quasi-totalité des demandes de ruptures conventionnelles de salariés protégés (95%).
En correctionnelle
Fin de l’histoire ? Non. Le P-DG de la Sepur a attaqué les trois fonctionnaires de la Direccte au tribunal correctionnel de Versailles pour des faits de tentative de chantage. Mais le tribunal n’a pas été du même avis que la Sepur. Non seulement il a, le 4 juillet 2017, relaxé les trois fonctionnaires mais il enfoncé le clou en condamnant le P-DG à payer 10 000 euros d’amende et 1 000 euros de dommages et intérêt à chacun des fonctionnaires de la Dirrecte. Il a par ailleurs condamné l’entreprise à une amende de 15 000 euros.
Re-fin de l’histoire ? Toujours pas. Une autre action en justice est en cours afin que le délégué syndical FO soit réintégré dans l’entreprise.
Un phénomène d’ampleur
Une affaire qui peut en dire long sur les discriminations que peuvent subir militants et délégués syndicaux. Un thème sur lequel s’est penché le Conseil économique social et environnemental (Cese) qui a rendu un avis jeudi 13 juillet 2017. Intitulé Repérer, prévenir et lutter contre les discriminations, l’avis a énoncé vingt-trois recommandations permettant de lutter contre ces traitements de défaveur que subissent délégués du personnel ou syndicaux et militants syndicaux.
Car la discrimination syndicale est un phénomène d’ampleur : l’enquête Réponse, diligentée en 2011 par le ministère du Travail, a démontré que le salaire moyen des salariés syndiqués est inférieur de 3% à 4% de celui de leurs collègues non syndiqués. Une pénalité salariale qui dépasse 10% pour les délégués syndicaux.
S’engager c’est couteux pour soi et pour les autres
Dans plus du tiers des entreprises interrogées par le ministère du Travail, 45% des représentants du personnel syndiqués déclarent que leur mandat a été un frein pour leur carrière (contre 4% des représentants non syndiqués). La probabilité d’avoir été promu au cours des trois dernières années est deux fois plus faible pour les représentants syndiqués que leurs collègues non syndiqués. S’engager syndicalement, c’est couteux pour soi et c’est aussi couteux pour ses collègues, a précisé le sociologue Karrel Yon, membre l’Observatoire répression et discrimination syndicale. Parce que quand on part en délégation ou en négociation, le travail doit continuer d’être fait et parfois cela peut être instrumentalisé pour stigmatiser l’activité syndicale, cela fait apparaître le syndicalisme comme démissionnaire de ses responsabilités professionnelles.
Des conséquences sur l’engagement
Mais les discriminations syndicales ne s’arrêtent pas là indique l’avis du Cese : tentatives de licenciement abusif, sanctions disciplinaires injustifiées, chantage à l’emploi, harcèlement, entraves à l’exercice des mandats, humiliation, pression sur les tiers peuvent se mêler pour aboutir au renoncement voire à l’éviction de l’indésirable. On peut ajouter à ce florilège d’autres pratiques comme celle qui consiste à surcharger de travail un délégué pour l’empêcher d’exercer correctement son mandat. Les employeurs ne supportant pas qu’une expression autonome des salariés puisse s’affirmer, a poursuivi Karel Yon. C’est le principe même du dialogue social qui est nié. Cela peut être aussi une politique sociale qui favorise une expression syndicale au détriment des autres. Cela remet en cause le principe de liberté syndicale, c’est à dire le droit pour les salariés d’adhérer ou de ne pas adhérer au syndicat de leur choix.
Ces pratiques répressives et discriminatoires ont des conséquences sur l’engagement des salariés : entre 36% et 40% des salariés déclarent que le premier frein à la syndicalisation est la peur des représailles de la direction de l’entreprise.
Une législation étoffée
Pourtant, l’arsenal législatif dévolu à la lutte contre la discrimination syndicale est bien fourni. Il existe de nombreux textes juridiques tant au niveau des législations française et européenne qu’au niveau des normes de l’OIT, qui considère que la discrimination syndicale porte atteinte à la démocratie. Mais tous ces mécanismes ne suffisent pas à empêcher la persistance de ce phénomène, d’autant plus que peu de salariés portent plainte pour ce motif.
Notre cadre juridique souffre de beaucoup de carences et la sanction pénale n’est pas suffisamment mise en œuvre, remarque l’avocate Emmanuelle Boussard Verracchia, également membre de l’Observatoire répression et discrimination syndicale. On assiste aujourd’hui à un mouvement de dépénalisation progressive de la discrimination syndicale et donc de la peine encourue par les chefs d’entreprises qui s’adonnent à ce genre de pratique. Au civil, la sanction est insuffisante et quand la discrimination est prouvée, les dommages et intérêts sont souvent inférieurs à la somme que n’a pas perçu le salarié pénalisé du fait du blocage de son évolution salariale.
Pas de syndicat, pas de négociation
La question de la discrimination est importante puisqu’il y a une orientation pour donner d’avantage de place à la négociation collective d’entreprise, ajoute Michel Miné, professeur du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), titulaire de la chaire droit du travail et droits de la personne. Pour qu’il y ait négociation collective d’entreprise équilibrée, authentique, cela suppose qu’il y a dans les entreprises, des représentants syndicaux à même de négocier avec les employeurs. Et si il n’y a pas de présence syndicale effective, il ne peut pas y avoir de négociation. Et dans ce cas-là, on va bricoler, inventer la négociation avec le salarié mandaté ou avec les élus du personnel syndiqués ou non.
Une information statistique à améliorer
Les vingt-trois recommandations préconisée par le Cese sont le reflet du triptyque développé dans le titre de l’avis : Repérer, prévenir et lutter.
Pour repérer les discriminations il faut d’abord les identifier. Or, il reste beaucoup à faire en matière de statistiques mesurant les discriminations liées à l’appartenance syndicale. Le Cese demande donc que le Conseil national de la statistique se penche sur les moyens d’améliorer le dispositif statistique incluant la fonction publique. Car, les informations disponibles pour la fonction publique ne sont pas kyrielles. Et, les fonctionnaires ne sont pas épargnés par la discrimination syndicale, même si le phénomène est plus rare dans les administrations, compte tenu des garanties fournies par le cadre statutaire.
L’accès aux données des entreprises
Autre recommandation : permettre aux représentants du personnel d’accéder plus facilement aux données de l’entreprise. Un dispositif qui permettrait de mesurer les écarts sur les évolutions de carrière et de rémunération, d’en rechercher l’origine et, le cas échéant, d’engager un dialogue avec la direction pour définir des actions correctives. Pour Force Ouvrière, cette mesure gagnerait à être renforcée par l’instauration d’une obligation par les entreprises d’au moins 300 salariés de fournir des indicateurs.
Plusieurs préconisations de l’avis concernent la mise en place de dispositifs permettant l’amélioration des taux de participations aux élections syndicales ainsi que l’adhésion des salariés à un syndicat, la formation des délégués et la valorisation des compétences acquises lors d’un mandat.
Et les sanctions ?
Force ouvrière, qui siège au Cese a voté cet avis. Elle constate une convergence de volontés d’agir sur le sujet : Afficher une volonté est un premier pas, la mise en œuvre des recommandations de cet avis pourrait être un pas supplémentaire. FO regrette néanmoins que le chapitre dédié à la lutte, donc aux sanctions, soit moins étoffé. Même si le cadre juridique est fourni, il n’est pas toujours ni efficace ni effectif. Il aurait été pertinent d’étoffer la partie sanctions et d’évoquer notamment le cas d’employeurs condamnés et multirécidivistes sur le sujet.
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